Pauvreté, crise de l’appartenance nationale et extrémisme violent. Rapport National Nigeria
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Responsables de la recherche
Rapport national
Dr. Efem N UBI, chercheur et directeur de la Division des relations économiques internationales [Division of International Economic Relations] au Nigerian Institute of International Affairs à Lagos au Nigéria.
Enquête terrain
Sharkdam WAPMUK, chercheur et directeur de la Division des affaires politiques et de l’intégration africaines [Division of African Politics and Integration] au Nigerian Institute of International Affairs à Lagos au Nigéria.
RÉSUMÉ
L’intérêt majeur de cette étude est qu’elle permet de combler une lacune. Dans les Etats de Borno, Yobe et Adamawa, sur la frontière avec le Tchad, le Cameroun et le Niger, les communautés consultées ont souligné que c’était la première fois que des chercheurs leur rendaient visite pour enquêter sur la réalité de leur quotidien dans les zones frontalières et les défis actuels auxquels elles sont confrontées. Une des sources d’inquiétude majeure qu’ont partagé tous les enquêteurs a été la vulnérabilité et l’insécurité ressenties face aux soulèvements et à la violence armée dans les régions nord-est du Nigéria. Tous ont eu des difficultés à se rendre dans les zones frontalières pour diverses raisons : les attentats à la bombe dans les environs, les nombreux contrôles effectués par des agents de la sécurité, les défaillances des systèmes de communication, le mauvais état des routes et la restriction de la circulation des véhicules motorisés.
Les zones d’enquête
Trois Etats ont été sélectionnés pour cette recherche : l’Etat de Borno (villes de Baga et Banki), l’Etat de Yobe (ville de Geidam) et l’Etat d’Adamawa (ville de Mubi). Ces lieux constituent aujourd’hui encore des zones sensibles en matière de rébellions et d’extrémisme violent. En outre, ces espaces se caractérisent notamment par la porosité de leurs frontières, leurs affinités culturelles et la désertification. Les deux villes de l’Etat de Borno étaient jusqu’il y a peu des centres névralgiques du commerce transfrontalier, de la contrebande et des activités de pêche, du fait de leur proximité avec le lac Tchad.
o Dans l’Etat de Borno se trouve Kukawa, la capitale de l’empire Kanem-Bornu, fondé en 1814 par Muhammad al-Amin al-Kanemi homme de religion et conquérant. La ville était alors d’une grande importance stratégique, car elle était le point d’arrivée méridional d’une importante route transsaharienne la reliant à Tripoli. o Dans l’Etat de Yobe, les habitants de Geidam sont pour la plupart des agriculteurs qui pratiquent également la pêche. La contrebande est aussi une activité majeure dans cette zone frontalière. o Dans l’Etat d’Adamawa (ville de Mudi), les activités économiques principales incluent le commerce, l’agriculture et l’élevage de bétail. Par ailleurs, du fait de la porosité de la frontière, les activités de contrebande sont très lucratives dans cette région. La culture, les arts, le droit local, les traditions, les croyances et les habitudes vestimentaires des habitants de la région ont été influencés et parfois même remplacés par la culture, les arts, le droit, les traditions et les codes vestimentaires arabes.
État et citoyenneté, religion et identité
La citoyenneté et l’identité sont au cœur de la crise qui secoue l’Etat nigérian postcolonial depuis l’indépendance. L’ethnicité et la religion, deux notions souvent politisées, posent un défi au projet national. Elles contribuent à élargir le conflit et à saper le développement du pays. La politisation de la charia, à la suite de son adoption et de son application dans certains Etats du nord, explique également l’activisme croissant en faveur de l’islamisation du nord déployé par certains groupes islamiques militants. Le groupe dénommé Boko Haram, en particulier depuis qu’il a recours à la violence, constitue l’élément le plus récent de la complexification continue du paysage nigérian. Il semble nécessaire de fournir une vue d’ensemble concernant ses origines.
Relations intercommunautaires et transfrontaliarité
Les gens dans ces régions ne reconnaissent presque pas les frontières. Ils les traversent à leur gré pour aller à l’école, à l’hôpital, accéder à des services sociaux ou rendre visite à leurs parents. Négligées dans les stratégies de développement de l’Etat nigérian postcolonial, les zones frontalières étaient relativement calmes et propices au commerce, légal comme illégal, avant l’arrivée de Boko Haram. Les régions frontalières sont devenues une arène de la contrebande transfrontalière, du crime, de l’extrémisme violent et de l’insécurité. La peur de l’expansion de l’insécurité du Nigéria dans les pays voisins et vice-versa est en augmentation. Les gens sont très mal informés des évènements qui prennent place en dehors de leur environnement immédiat. La composante principale de l’insécurité est, selon les personnes interrogées et malgré la présence de Boko Haram, la pauvreté et l’inoccupation. La montée accélérée de l’intensité de l’insécurité dans le nord-est est attribuée à l’effondrement ou à l’absence d’infrastructures sociales et de ressources financières, à la dégradation de l’environnement, à la fragmentation et à la décomposition sociales, ainsi qu’à la marginalisation économique de la population. La plupart des personnes interrogées considèrent l’aide internationale comme utile et efficace pour combattre l’insécurité et l’extrémisme violent. La synergie entre les Etats de la région et les structures internationales et traditionnelles est d’une importance cruciale pour assurer la sécurité des communautés frontalières. Le rôle des médias est incontournable pour influencer les valeurs sociales et réduire les conflits et les rébellions.
Radicalisation : indices et processus
A cause de la volatilité constante du contexte, les participants à l’enquête se sont montrés réticents à partager leurs opinions. L’absence de vision commune concernant Boko Haram découle de ces facteurs d’inhibition. L’enquête a permis de révéler que les insurgés profitaient du haut niveau de pauvreté, d’illettrisme et de la présence insuffisante des forces de sécurité pour asseoir leur domination et leur oppression. La religion est par ailleurs utilisée de façon abusive pour endoctriner de nouveaux adhérents et le gain matériel est désormais la motivation dominante et le moteur principal de Boko Haram. Même si les personnes interrogées estimaient que l’extrémisme violent avait des origines extérieures, le système d’éducation almajiri actuel expose les jeunes dans le nord-est à la radicalisation et favorise leur recrutement futur par Boko Haram en tant que combattants. Pour résoudre la crise de Boko Haram, les personnes interrogées attendent des actions spécifiques de la part des gouvernements à différents niveaux, des leaders communautaires, des femmes et des jeunes, ainsi que la communauté internationale dans son ensemble. Les méthodes traditionnelles de résolution de conflit peuvent jouer un rôle majeur dans la résolution de la crise. Les personnes interrogées étaient par ailleurs en faveur de l’implication des cours de justice nigérianes pour juger les auteurs de crimes.
Rôle des femmes et des jeunes
Dans les zones frontalières sélectionnées, les femmes et les jeunes sont devenus les couches de la population les plus vulnérables depuis l’apparition de Boko Haram. De nombreuses femmes sont confrontées au veuvage après la perte de leurs maris et de leurs enfants, d’autres sont enlevées, violées et faites esclaves pour cuisiner, laver et servir les rebelles de Boko Haram. Les jeunes sans emploi, en particulier les almajiri, sont forcés à rejoindre les rangs de Boko Haram ou séduits avec de l’argent, des motos et des promesses d’accès facile à de l’argent et à des femmes. Dans le même temps, ces deux catégories de personnes semblent jouer un rôle ambivalent. En tant que parties prenantes, ils doivent être des agents de paix et de changement lorsqu’ils en ont l’opportunité. Le rôle joué par les femmes dans la réduction de la violence a notamment été mis en avant par les personnes interrogées.
Thèmes de réflexion
Sur la base des perceptions recueillies auprès des enquêté(e)s et des observations réalisées sur le terrain, étayées par des analyses et des discussions avec différents acteurs pertinents, les thèmes de réflexion suivants se dégagent :
- Le gouvernement nigérian doit reformuler sa stratégie et adopter un rôle proactif dans la lutte contre l’insécurité ;
- L’intervention psychosociale doit être promue comme une stratégie permettant de limiter et de résoudre l’insurrection au Nigéria ;
- L’éducation est un moyen de renforcer l’autonomie des individus ;
- Exploiter les méthodes traditionnelles de résolution de conflit ;
- Le rôle des femmes et des jeunes ;
- Mobiliser des efforts internationaux concertés ;
- La réhabilitation et la réintégration doivent faire l’objet d’une attention particulière.
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
ÉTAT ET CITOYENNETÉ, RELIGION ET IDENTITÉ
1. La crise de l’Etat-nation
2. La politique de la charia et la résurgence de l’islamisme militant dans le nord du Nigéria
3. Boko Haram: l’élément le plus récent d’un paysage nigérian toujours plus complexe
RELATIONS INTERCOMMUNAUTAIRES ET TRANSFRONTALIARITÉ
1. Le dilemme des conditions de vie dans les zones frontalières
A la recherche de services sociaux et d’opportunités économiques
Les deux faces de la contrebande
2. Les perceptions de l’insécurité et la façon d’aborder ce problème
Insécurité: un problème lié à la pauvreté ou un phénomène généré par Boko Haram?
Répondre au défi de l’insécurité
3. Le rôle stratégique des médias dans la sécurité du Nigéria
RADICALISATION: INDICES ET PROCESSUS
1. Perceptions de l’extrémisme violent et de la radicalisation
Origine, facteurs et mesure de l’extrémisme
Les usages abusifs de la religion et la tentation de l’ « argent facile »
La réticence des personnes interrogées à répondre aux questions sur leur identité et leurs croyances
2. Les perceptions et la recherche de solutions pour lutter contre Boko Haram
Le potentiel des méthodes traditionnelles de consolidation de la paix
Impliquer les femmes et les jeunes dans la construction de la paix
Le rôle de l’Etat et de la justice
Une sonnette d’alarme pour la communauté internationale
3. Le système almajiri et la radicalisation de la jeunesse dans le nord-est du Nigéria
LE RÔLE DES FEMMES ET DES JEUNES
1. La vulnérabilité et son impact sur la liberté
2. Des rôles ambivalents
QUE FAIRE?
BIBLIOGRAPHIE
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