Citoyenneté vigilante au Sénégal

Citoyenneté vigilante. Rapport National Sénégal

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Responsables de la recherche
Rapport national
Dr Abdourahmane SECK, Université Gaston Berger, Centre d’étude des religions, Saint-Louis Sénégal

Enquête terrain
Dr Rachid ID YASSINE, Université Gaston Berger, Centre d’étude des religions, Saint-Louis Sénégal


RÉSUMÉ

Les réceptions sur le terrain de notre équation de recherche : sens et enjeux
Les perceptions sur les facteurs du radicalisme violent d’inspiration religieuse n’ont pas été, sur le terrain, une proposition de recherche allant de soi. Les enquêteurs ont tous ressenti, de manière plus ou moins profonde, le sentiment d’avoir été en décalage par rapport aux préoccupations immédiates de l’enquête. Bien loin d’être ignoré ou tu, l’enjeu sécuritaire est quasi omniprésent, mais il a surtout pour nom : marginalisation, enclavement, vol de bétail, etc. La crainte du jihadisme reste cependant réelle et ses possibles facteurs au Sénégal sont bien désignés par nos enquêtés. Leurs arguments portent essentiellement sur ce qu’ils estiment être la vulnérabilité des jeunes face à l’argent des recruteurs jihadistes.Les enquêtes montrent aussi que l’existence de la menace jihadiste dans le Sahel, comme enjeu mondialisé et financiarisé, est incorporée à la dynamique conflictuelle locale (querelles entre pasteurs et agriculteurs, par exemple). Toutefois, la menace jihadiste (avérée, relativisée, contestée) cristallise un certain discours social sur ce qui serait une spécificité sénégalaise, à savoir un pays de paix et d’entente familiale, traversé par un islam soufi, tolérant. Cette croyance, pertinente ou idéalisée, constitue une importante ressource de résilience.

Les déterminants de l’insécurité
Les institutions communautaires majeures, notamment les écoles, les centres religieux et les institutions culturelles, n’ont jamais été touchées par des actes de violence ou d’intolérance grave en rapport avec le religieux. Par contre, l’enquête documentaire révèle des situations d’émeute en lien avec l’actualité politique ou sociale qui ont occasionné des destructions de biens (bâtiments, voitures, archives) appartenant à l’État. Une certaine activité criminelle persiste, conduisant également à des attaques plus ou moins spectaculaires contre des boutiques, entreprises, postes, banques, mais aussi et surtout des vols de bétail. Le problème est souligné dans les deux zones nord et est du pays et décrit comme banditisme transfrontalier. Les déterminants majeurs de l’insécurité dans les deux communautés frontalières ciblées sont principalement identifiés comme le résultat de conflits socioprofessionnels, en particulier les litiges entre agriculteurs et pasteurs. Secondairement, nos deux zones étant situées dans des axes migratoires importants, leur nature de zone de transit est perçue comme un déterminant d’insécurité face à des populations de passage, non intégrées et porteuses de pratiques sociales différentes. Cette question est davantage marquée dans la zone est, où l’exploitation de minerais attirent de nombreux jeunes africains venus de partout.

Communautés frontalières : facteurs et réseaux de résilience
Nous retenons l’idée que les populations des zones nord et est interrogées s’autoperçoivent comme des communautés enclavées et souffrant d’un faible encadrement étatique qui génère un sentiment collectif de vulnérabilité. Elles considèrent en même temps leur ancrage frontalier comme facilitant des opportunités commerciales et un accès moins cher aux biens de consommation et d’équipement. Ces communautés développent une forte conscience de continuités sociales et socioprofessionnelles. Elles estiment appartenir aux mêmes familles, partageant les mêmes univers physiques et climatiques. Elles vivent dans des espaces où s’opèrent de très forts flux commerciaux et humains et sont diversement exposées du point de vue de la liberté de mouvement. Les populations de la zone nord, à la différence de celles de l’est, se sentent lésées par les mesures inopinées de fermeture de la frontière décidées parles autorités mauritaniennes. Ces communautés frontalières que nous avons interrogées ne sont pas vraiment encore des acteurs organisés et mobilisés à partir de réseaux établis et visant à contrer le radicalisme religieux violent. Cependant, elles partagent et promeuvent un même type de discours de prévention. Celui-ci insiste sur l’éducation, le raffermissement de la cellule familiale, la promotion du dialogue entre l’État et le leadership religieux confrérique, le renforcement des mécanismes traditionnels comme le cousinage à plaisanterie entre ethnies et entre noms de famille, la diffusion de la culture de l’interprétation différente. Sont ainsi donc identifiés comme devant être aux avant-postes de ces engagements: les institutions éducatives, religieuses et culturelles. De même, l’agriculture, dans ces différents sous-secteurs, est perçue comme un levier principal d’amélioration des conditions de vie des populations.Le manque d’eau est toutefois signalé en zone est, avec une demande forte de réalisation de mini barrages garantissant un accès régulier à cette ressource.

État et demandes citoyennes à la frontière : une critique par excès d’attachement?
Deux sentiments semblent dominer dans les perceptions des traitements apportés contre l’insécurité par l’État et les autorités locales. C’est d’abord le sentiment que l’État ne surveille pas assez la frontière,perçue comme trop poreuse. Ce sentiment est surtout exacerbé par le caractère peu visible d’un dispositif sécuritaire dissuasif. C’est ensuite le sentiment ultime que le Sénégal disposerait, en vertu de l’exemplarité de son modèle de stabilité, de ressources réelles de protection des communautés mais qui demeurent discrètes. Les différentes enquêtes menées ont été, par ailleurs, de hauts lieux de prise de parole et de participation citoyenne au débat sur l’état de la nation, ses contradictions, son devenir historique.Il est frappant de voir, dans un contexte ambiant de forte de modernité mais aussi de critique acerbe contre l’État, l’insistance avec laquelle nos enquêtés préconisent le renforcement des élites sociales et religieuses intégrées, en considérant qu’elles sont un bouclier contre l’extrémisme, de même qu’ils en appellent à « un mieux et un plus d’État ».

Femmes, jeunes et radicalisme violent
Les femmes et les jeunes sont considérés, en dépit de la persistance de discours d’ordre les confinant dans des rôles mineurs, comme d’importants acteurs de prévention et de sensibilisation contre le radicalisme.C’est le statut social traditionnel qui les définit comme les gardiens de l’avenir, les exposant en même temps comme cible stratégique des extrémistes violents qui cherchent à anéantir les sociétés locales. Cette ultime vulnérabilité est prise en charge par les femmes et les jeunes qui ainsi entreprennent de construire des leaderships respectés au sein de leurs communautés, à travers des désirs d’engagement visant la défense de celles-ci, mais aussi la promotion de leurs causes spécifiques. Ces projections conduisent à des rêves d’épanouissement ancrés dans l’espace communautaire et non dans d’incontournables projets d’exil et/ou de migration. Les jeunes demandent à être enrôlés et servir là où les services de l’État, notamment la police et la gendarmerie, ne sont pas encore suffisamment présents; les femmes, aux avant-postes des activités de subsistance, demandent plus de présence des partenaires du développement.

L’État face aux questions sécuritaires
59,4% de l’échantillon total de l’enquête perçoit l’État comme capable de faire face, tout seul, aux groupes armés. Cette opinion largement favorable indique que l’État sénégalais jouit de la position d’un acteur majeur et crédible dans la prise en charge des enjeux sécuritaires. Au plan juridique, au Sénégal,l’ensemble des textes adoptés comme conventions internationales sont en vigueur car ils sont signés et ratifiés par le Sénégal. Outre la Charte des Nations Unies et celle de l’Union Africaine et leurs contenus adoptés par le Sénégal, il existe une législation nationale spécifique qui punit tout acte d’agression extérieure par individus ou par bandes organisées quelles que soient les motivations des agresseurs. Le Sénégal a également dans son code pénal des dispositions répressives par rapport aux agressions extérieures.Au niveau des forces de défense et de sécurité, l’État a enclenché une politique de restructuration de sa politique nationale, marquée par une volonté de mettre en synergie le travail des différents services et surtout d’augmenter l’appui aux missions de renseignement. Le mot d’ordre est d’empêcher que les terroristes ne franchissent la frontière. Les populations sont associées à la mobilisation par des rappels fréquents à la vigilance, depuis le sommet de l’État et aussi au niveau des différents grands rendez-vous religieux.


SOMMAIRE
RÉSUMÉ
INTRODUCTION

ÉTAT ET CITOYENNETÉ, RELIGION ET IDENTITÉ
1. Islam confrérique vs non confrérique, terme et enjeux d’un clivage
Les voies soufies de l’islamisation du Sénégal
L’islam réformiste
Tendances confrériques et non confrériques : entre émulation, compromis et complémentarités
2. Sénégal : aux racines d’un modèle d’État-Nation
Le « Contrat social » sénégalais : entre héritages sociaux et projet démocratique
La religion dans les actes publics de violence

RELATIONS INTERCOMMUNAUTAIRES ET TRANSFRONTALIARITÉ
1. Auto-perceptions communautaires
Les questions de subsistance économique
La dimension positive de la frontière au niveau social et culturel
Le sentiment d’être à la marge de l’espace national
2. Perceptions des risques et des menaces
La compréhension des défis géographique et sociopolitique
Le sentiment porté sur la réalité et la qualité de la présence du dispositif sécuritaire
3. Ressources de la résilience

RADICALISATION : INDICES ET PROCESSUS
1. Perceptions des enquêtés
Le clivage islam confrérique / non confrérique : vers une montée des périls ?
L’extrémisme violent dans les imaginaires et discours populaires
Justifications de la violence en matière de religion et (non) acception communautaire
Médias et entendement communautaire du jihadisme
2. Le traitement sécuritaire au niveau national
Cadre législatif, juridique et mobilisation politique face à la menace
Indicateurs de risque et d’exposition à la menace
Étude de trois cas récents de menace

RÔLES DES FEMMES ET DES JEUNES
1. Approche genre des perceptions dans les résultats de l’enquête
Genre et perception des sources sécuritaires
Genre et perception de l’extrémisme religieux
2. Femmes et jeunes : perceptions des rôles
Vulnérabilité, insécurité et nouvel ancrage dans la communauté
Rôles des femmes en pleine mutation
La mutation davantage ambigüe du rôle des jeunes

QUE FAIRE ?



 

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